AFGHANISTAN

Malalaï Kakar ou l'assassinat d'un symbole afghan

Malalaï Kakar, la policière la plus célèbre d'Afghanistan, a été assassinée, dimanche, par des Taliban devant son domicile à Kandahar. Portrait d'une femme dont le courage n'avait d'égal que sa détermination à servir son pays.

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La capitaine Malalaï Kakar, assise dans son bureau, une pièce presque vide du commissariat de Kandahar, dresse la liste macabre de ses collègues tués au cours de leur service.

 

Cette scène se déroule en octobre 2003. Quelques mois après le début de la guerre en Irak, alors que l’attention internationale se focalise sur le Moyen-Orient, la sécurité au sud de cette ville afghane se détériore lentement.

 

Deux ans après la chute des Taliban, Malalaï Kakar est la seule femme policière à Kandahar. C’est une jolie femme, heureuse propriétaire d’une Kalachnikov. A sa hanche, bien rangé dans son étui, un pistolet. Déjà à cette époque, Malalaï n’était pas dupe. Elle était même parfaitement consciente des dangers de sa mission.

 

Dans cette ville au cœur de l’ancien fief des Taliban, Malalaï, qui dirigeait le département des crimes contre les femmes, représente tout ce qu’exècrent les fondamentalistes.

 

Mais cette mère de six enfants balayait les dangers d’un geste de la main. "Bien sûr que c’est dangereux, on regarde toujours derrière soi, avait-elle alors dit à Leela Jacinto, journaliste à FRANCE 24, dans sa langue pachtoune d’origine. Mais jusqu’à présent, je n’ai jamais été menacée, Dieu merci. Je suis prudente mais pas terrifiée. Je suis une femme forte et je veux servir mon pays."

 

Cinq ans plus tard, Malalaï Kakar est assassinée, en servant son pays. L’attaque est survenue dimanche matin, alors qu’elle quittait son domicile de Kandahar pour se rendre au travail. Son fils de 18 ans a été blessé au cours de l’attaque. Peu de doutes persistent sur les raisons de son assassinat. Les extrémistes ont tout simplement fait disparaître le défi que cette femme osait leur lancer quotidiennement, en faisant son travail.


Peu de temps après l’attaque, les Taliban ont revendiqué l’assassinat.

 

"Nous avons tué Malalaï Kakar, a annoncé un porte-parole des Taliban à l’AFP. Elle était l'une de nos cibles et nous avons aujourd'hui réussi à l'éliminer."


Un "exemple" pour les femmes afghanes


La communauté internationale n’a pas tardé à réagir.

 

Condamnant fermement cet assassinat, le président afghan Hamid Karzaï a déclaré qu’il était "consterné par cet acte brutal".

 

Dans un communiqué publié dimanche, l’Union européenne (UE) a quant à elle déclaré : "Le meurtre de tout officier de police est condamnable. Mais celui d’une femme officier, au service non seulement de son pays mais aussi des femmes afghanes, est particulièrement odieux."

 

En tant que policière issue de la communauté pachtoune, l’exemple que constituait Kakar ne doit pas être sous-estimé. Son rôle était crucial dans une société patriarcale, encore régie par le pachtounwali, un ancien code tribal qui, notamment, utilise les femmes en dédommagement de crimes.

 

Selon le pachtounwali, les femmes non-mariées peuvent être "données" à une famille en compensation d’un crime. Dans la plupart des villes afghanes, les prisons pour femmes sont, encore aujourd’hui, remplies de détenues emprisonnées pour avoir fui leur foyer, pour avoir tenté d’échapper à la violence et aux mariages forcés.

 

Selon Masuda Sultan, une avocate née à Kandahar spécialisée dans les droits de l’Homme et auteure du livre "Ma guerre à la maison", Malalaï Kakar jouait souvent le rôle de défenseur non-officiel des détenues. En l’absence d’un système judiciaire efficace, Kakar était, selon Masuda Sultan, "comme l’avocate des femmes dans la police".

 

En travaillant "comme un homme"


Malalaï faisait, selon ses propres termes, son travail "comme un homme". Fille d’un officier de police, Kakar a intégré la police en 1982. Sa carrière tourne court quand sa famille décide de fuir l’Afghanistan en guerre pour trouver refuge au Pakistan voisin. Après la chute des Taliban en 2001, elle revient sur sa terre natale et réintègre le commissariat.

 

Un jour, Malalai Kakar a tué trois hommes qui tentaient de l’assassiner. L’épisode est resté dans les mémoires. La chance, hélas, lui a fait faux bond lorsqu’elle est montée dans sa voiture dimanche matin.

 

En 2003, lorsqu’elle était l’unique femme policière de la ville, elle avait déclaré qu’elle adorerait travailler avec une autre femme. Mais, avait-elle ajouté mélancoliquement, "je ne pense pas que ça arrivera dans un futur proche". "C’est l’Afghanistan", avait-elle conclu, amère.

 

Elle avait tort. Malalaï Kakar est morte en laissant au commissariat de Kandahar, une équipe forte d’une dizaine de femmes. Ce n’est pas énorme. Mais il y a seulement cinq ans, ce chiffre dépassait complètement l’entendement.

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