Les Black bloc, ces nouveaux révolutionnaires égyptiens prêts à employer la force
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Tout le monde en parle en Égypte mais personne ne sait vraiment qui ils sont. Les Black bloc, nouveaux opposants très actifs contre le régime de Morsi, défendent, par la force si nécessaire, les manifestants.
Ils s’habillent en noir et sont cagoulés. Depuis moins d’une semaine, un groupe mystérieux se présentant comme le “Black bloc” (bloc noir) a fait une apparition remarquée dans les rues égyptiennes et sur les réseaux sociaux. Opposés au régime du président Mohamed Morsi, ses membres disent vouloir défendre, par tous les moyens, les manifestants face aux islamistes et aux forces de l’ordre.
Le 24 janvier, veille du deuxième anniversaire du début de la révolte contre l’ex-président Hosni Moubarak, ce mouvement, inspiré des mouvements libertaires occidentaux des années 1980, a annoncé sa création officielle dans une vidéo postée sur YouTube. Le clip, tourné de nuit à Alexandrie, montre des jeunes masqués dont la mission, disent-ils, est de lutter “contre le régime tyrannique fasciste [des Frères musulmans] et leur bras armé”.
Cagoulés afin de ne pas être identifiés par les forces de l’ordre, ces groupuscules éphémères se sont joints aux manifestations qui secouent plusieurs villes égyptiennes comme le Caire, Alexandrie ou Mansoura depuis près d’une semaine.
“Nous sommes là pour vous protéger. Nous ne voulons attaquer personne”, ont expliqué certains d’entre eux lors d’un rassemblement place Tahrir vendredi dernier, en précisant qu’ils n’appartenaient à aucun groupe ou parti politique.
Le clip officiel des Black bloc sur YouTube
"Une réaction des civils dépassés par la violence"
Pour Sarah Othman, activiste égyptienne, leur apparition constitue une réaction des civils dépassés par la violence dont ils sont victimes, notamment après l’attaque subie par des manifestants pacifiques pendant le siège du palais présidentiel début décembre. Sept personnes avaient alors été tuées par des “gros bras” envoyés par la Confrérie pour chasser les opposants.
Après cette date, alors que des factions issues des Frères musulmans ou des salafistes ont participé à plusieurs incidents violents - ils ont notamment assiégé Media City et incendié le siège du parti d’opposition al-Wafd au Caire -, le pouvoir n’a procédé à aucune arrestation dans les rangs islamistes.
Les anciens slogans “Selmia, Selmia” (pacifique, pacifique) scandés dans les manifestations qui ont fait chuter le régime de Moubarak semblent s’éloigner. De plus en plus de manifestants commencent à douter de l’efficacité d’une opposition pacifique. “Ils ne veulent plus rester les bras croisés”, explique Sarah Othman.
De plus, malgré la chute de Moubarak, la police est toujours accusée de violations systématiques des droits de l’Homme, alimentant l’hostilité de la population à son égard. Amnesty International, s'appuyant sur des témoignages, a condamné en début de semaine "l'usage par les services de sécurité d'une force létale [...] y compris contre des manifestants qui ne représentaient pas de menace imminente".
L’émergence soudaine des Black bloc n’est donc "pas bizarre” pour Nagad el-Borai, un avocat et activiste politique. Interrogé sur la chaîne de télévision privée CBC, il affirme que leur motivation est née de la déception face au régime actuel, qui est devenu un “régime dictatorial religieux” qui “raisonne de la même façon que l’ancien régime de Moubarak”.
Un avis que ne partage pas Samir Shehata, professeur de sciences politiques arabes à l’université de Georgetown. Cet observateur de la vie politique égyptienne depuis une dizaine d’années avoue avoir été surpris par l’apparition des Black Bloc. Ces jeunes sont avant tout les éléments les plus radicaux parmi les jeunes révolutionnaires, estime-t-il.
Ces jeunes en noir n’ont pas investi que la rue égyptienne. Alors qu’ils se défendent d’être sur les réseaux sociaux, le Black bloc a au moins deux pages Facebook (ici et là). En quelques jours, chacune a déjà rassemblé plus de 30 000 fans. Derrière le slogan “chaos contre l’injustice”, des messages appelant la population à les soutenir sont postés régulièrement.
Sur Twitter, le compte @bbegypt, très actif et suivi par 20 000 personnes, donne des nouvelles en direct des manifestations en cours dans le pays.
De nombreuses images et vidéos ont aussi commencé rapidement à circuler : on voit des groupes de jeunes hommes défendre à plusieurs reprises des manifestants mais aussi s’opposer violemment aux forces de police.
itPremières arrestations
Face à ces protestataires d’un genre nouveau, la réaction ne s’est pas fait attendre du côté du pouvoir : des officiels des Frères musulmans ainsi que les médias du pouvoir les accusent d’être des anarchistes responsables de nombreuses violences et destructions. Ils auraient notamment tenté d’incendier le palais présidentiel et auraient attaqué plusieurs QG des Frères.
Selon Said Al-Lawindi, expert au centre d’études stratégiques d’Al-Ahram interrogé par FRANCE 24, ce groupe est “une conséquence de l’absence de conscience politique en Égypte, en particulier des jeunes”. Il redoute que les violences dont ils sont responsables ne bloquent la possibilité d’un dialogue national aujourd’hui essentiel.
Face à la tension croissante, le procureur général d’Égypte a ordonné mardi "l'arrestation de toute personne suspectée d'appartenir à ce groupe". Il a accusé l’organisation de constituer ”un groupe organisé qui mène des actions terroristes”.
Selon l’AFP, citant une source proche des services de sécurité, 170 manifestants habillés en noir ont déjà été arrêtés depuis samedi, même s’il n’est pas certain qu’ils appartiennent tous au Black bloc. Le 30 janvier, au moins quatre militants présumés ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de manifester devant les bureaux du procureur général dans le centre du Caire.
Cependant, certains craignent que les agissements de ces électrons libres ne puissent accentuer la spirale de la violence en Égypte. Plusieurs pages de groupes révolutionnaires sur Facebook ont ainsi mis en garde face à ces Black bloc et encouragé leurs partisans à ne surtout pas les rejoindre. D’après eux, ils seraient issus des Frères musulmans et tenteraient uniquement de saboter le mouvement de protestation. “Il ne faut pas commencer à utiliser la violence, il faut trouver comment en sortir”, prévient Sarah Othman.
Pour le blogeur Mahmoud Salem (alias @sandmonkey), ces groupuscules représentent “un ennemi idéal pour le régime et délégitimisent tous les manifestants pacifiques”.
Samir Shehata se dit quant à lui inquiet d’un tel phénomène, “dans la mesure où il peut être utilisé par le pouvoir pour discréditer les manifestants et leurs demandes qui sont pourtant tout à fait légitimes”.
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