Nouvel An à Cologne : les habitués de la gare centrale racontent
Déambulation nocturne dans la désormais tristement célèbre gare de Cologne. Rencontre avec ses sans-abri, ses anciens réfugiés et ses militants associatifs, qui livrent leur version des événements du Nouvel An.
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Il est 22 h 30, et il n’y a quasiment personne dans l’allée E de la gare centrale de Cologne, en ce soir de janvier. Pour ceux qui connaissent les lieux, c’est le signe qu’ici, tout a changé depuis les violences et agressions sexuelles de la nuit du Nouvel An. Jusqu’au 31 décembre, ce passage était l’un des endroits les plus peuplés la nuit venue.
C’est là, entre les distributeurs automatiques d’un côté, un McCafé et une papèterie de l’autre, que les sans-abri, les réfugiés qui viennent d’arriver en ville et d’autres personnes désœuvrées avaient l’habitude de se retrouver. "Les responsables de la sécurité de la gare les laissaient traîner là, pour les réunir au maximum dans un espace", raconte Azru, représentante de l’association d’aide aux sans domicile fixe Freunde des Kölner Strassen (les amis des rues de Cologne). Elle connaît bien les lieux pour y venir régulièrement le soir.
"Pas pire que d’autres grandes gares en Allemagne"
Depuis les événements du 31 décembre, la police, par sa simple présence dans l’enceinte du bâtiment et aux abords, a fait fuir les sans-abris. Un jeune homme, une bière à la main et visiblement dépité, s’arrête et demande s’il "n’y a pas un peu d’animation dans le coin"... Non. C’est le nouveau visage nocturne de la gare, plus calme et plus docile. En trois heures, seules deux personnes avinées se sont aventurées à faire un esclandre, c'est dire si l'ambiance a changé. Les quelques commerces de bouche restés ouverts après 23 heures peuvent compter leurs clients sur le doigt d’une main.
Azru, elle, tient à défendre "sa" gare, qui a été dépeinte dans la presse du monde entier comme un haut lieu de la délinquance. "Elle n’est pas pire que d’autres grandes gares en Allemagne. Je me sens beaucoup moins en sécurité à Francfort par exemple", assure-t-elle. Pourtant, c’est bien ici que l’incendie qui remet actuellement en cause la politique migratoire généreuse de l’Allemagne s'est allumé. Ces derniers jours, la police a en effet reconnu que la majorité des suspects dans les affaires de vols et de violences qui ont émaillé le Nouvel An sont d’origine "nord-africaine ou des pays arabes", dont certains seraient des demandeurs d’asile.
Les réfugiés fraîchement arrivés ? "Ce sont les plus en retrait, les plus polis"
"C’est vrai qu’on rencontre le soir davantage de personnes qui viennent des pays d’Afrique du Nord, depuis quelques mois", reconnaît Azru. Difficile en effet de ne pas constater leur présence. Ils se tiennent par deux ou trois près des portes ouvrant sur les deux côtés de l’allée centrale et il n’est pas rare de croiser des personnes parlant arabe au téléphone.
À l’extérieur, sous un pont qui jouxte la gare, Peter, un sans domicile fixe qui dort ici depuis plus de six mois, minimise quant à lui l’importance du contingent nord-africain. Les bandes, responsables de la délinquance, ce sont avant tout "les Roumains, qui ont pris la place des Polonais qui avaient eux-mêmes remplacés les Turcs". Un constat que confirme également Azru.
Quant à l’implication de demandeurs d’asile fraîchement arrivés en Allemagne, c’est une thèse qui ne tient pas débout pour ceux qui connaissent les habitants nocturnes de la gare centrale. "Ce sont ceux qui sont les plus en retrait, toujours polis et qui sont épuisés par leur voyage. Vous croyez vraiment qu’ils vont faire quelque chose qui risquerait de compromettre leur chance d’avoir des papiers pour rester ici ?", assène Fahed Mlaiel.
Ce Tunisien de 31 ans, qui a été demandeur d’asile à son arrivée en Allemagne il y a 10 ans, connaît parfaitement le paysage de la petite délinquance à la gare centrale : jadis, il en a fait partie. Depuis lors, il s’est investi dans des associations. Sa structure, ALL Fallaga e.V., vient en aide aux réfugiés qui arrivent dans le pays.
"Le 31 décembre, il y a eu deux groupes, deux événements distincts"
Il traîne derrière lui un petit chariot alourdi par une marmite de soupe chaude et des boissons qu’il distribue dans la gare centrale. Il faisait de même la nuit du 31 décembre quand le chaos a éclaté. Fahed Mlaiel assure qu’il faut faire un distinguo très important sans lequel on ne peut pas comprendre l’ampleur de la tragédie. "Il y a eu deux groupes, deux événements qui se sont déroulés presque en même temps, l’un à l’intérieur de la gare et l’autre devant sur la place du Dom [la cathédrale, NDLR]", raconte-t-il.
À l’extérieur, où ont eu lieu la majorité des actes de violences sexuelles, ces agressions ont été commises par des gens "qui avaient bu beaucoup d’alcool" et qui n’avaient rien à voir avec les délinquants "professionnels" que Fahed Mlaiel connaît bien. Selon lui, il y avait des immigrés dans le lot, mais la plupart d’entre eux se trouvent en Allemagne depuis un certain temps déjà.
À l’intérieur de la gare, les agressions ont été le fait de "professionnels du vol, connus pour la plupart, parmi lesquels aucun n’est demandeur d’asile et qui ont profité de la cohue à l’extérieur pour s’en prendre violemment aux gens présents", précise-t-il. Il a néanmoins remarqué plusieurs têtes nouvelles parmi ses fauteurs de trouble qu’il soupçonne de venir de l’étranger, "peut-être de Belgique".
Reste que les événements et le battage médiatique qu’ils ont suscité portent un sérieux coup à l’image de la ville, la quatrième plus importante d’Allemagne, réputée pour son carnaval et son sens de la fête.
Aisha, une Colognaise de 21 ans rencontrée un peu plus tôt dans la journée, confirme ce malaise. Elle évite autant que possible de passer par la gare non pas par peur mais "parce que ça me dérange, le lieu est devenu synonyme d’événements qui sont tellement éloignées de ce pourquoi j’aime Cologne, sa tolérance, et son ouverture".
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