Grande Guerre : les poilus français se sont aussi battus lors de la bataille de la Somme
Il y a cent ans, une offensive alliée était lancée dans la Somme. Pour les Britanniques, cette date est restée dans les mémoires. La participation des poilus a été conséquente, mais elle est pourtant oubliée.
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Le 1er juillet 1916, une grande offensive était déclenchée dans la Somme par les Français et les Britanniques pour tenter de percer le front allemand. Jusqu'en novembre, cette bataille, qui s'est révélée être un échec, fit, toutes nationalités confondues, plus d’un million de morts, de blessés et de disparus. Cent ans après, cet épisode de la Première Guerre mondiale est toujours très présent dans la mémoire des sujets de sa gracieuse majesté. En revanche, de l'autre côté de la Manche, beaucoup ignorent l’engagement de l’armée française dans cette bataille gigantesque, méthodique et meurtrière. Le commandant Michaël Bourlet, docteur en histoire et chef du département histoire et géographie des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, explique à France 24 quel a été son rôle pendant les cinq mois de combats.
France 24 : Comment les Français et les Britanniques ont-ils décidé de lancer une offensive conjointe dans la Somme en juillet 1916 ?
Michaël Bourlet : Il faut revenir à la fin 1915. La situation était alors compliquée pour tous les belligérants mais plus encore pour les Alliés qui ont beaucoup attaqué sur le front de l’Ouest au cours de cette année, plus que les Allemands. Les Français ont ainsi perdu 350 000 hommes et les Britanniques environ 100 000. Mais ils décident de passer une nouvelle fois à l’offensive. Lors de la conférence interalliée réunie au QG français à Chantilly le 6 décembre 1915, le général Joffre fait part de sa volonté d’obtenir une coordination des efforts alliés pour abattre les puissances centrales. Bien entendu, le front de l’ouest reste prioritaire. Cependant, les Français et les Britanniques ne s’entendent pas sur le lieu. Les Britanniques privilégient une offensive dans le nord en direction des ports belges, alors que Joffre préfère une action au centre du front allemand, à la jonction des armées françaises et britanniques dans la Somme. La proposition du général français est finalement retenue le 14 février 1916.
C’est donc une offensive qui est initialement pensée et planifiée par les Français. L’attaque doit se développer sur un front de 70 km entre Hébuterne et Lassigny, dont 40 à 50 km sont à la charge de l’armée française. Mais la bataille de Verdun, déclenchée fin février par les Allemands, contrarie ces projets en aspirant des réserves et des moyens français considérables dans la Meuse. Joffre maintient toutefois l’offensive dans la Somme car il veut tenir ses engagements envers les alliés et également soulager Verdun. Le projet, ainsi que l'effectif français, sont revus à la baisse : le front d’attaque est réduit de 70 à 40 km.
France 24 : Le 1er juillet, lors du début de l’offensive, quel est donc l’engagement français dans la Somme ?
Michaël Bourlet : Le général Foch, commandant du Groupe d'Armées Nord et responsable de l'opération, ne dispose plus que de 22 divisions et de 555 pièces d’artillerie, au lieu de 39 divisions et 1700 pièces d’artillerie lourde du projet initial. En tout, deux armées sont déployées pour cette offensive. La 6e armée du général Fayolle, à cheval sur les deux rives de la Somme et au sud, la 10e armée du général Micheler. À l’inverse, le général britannique Haig dispose d’effectifs nombreux rassemblés dans une trentaine de divisions. Il peut aussi compter sur des contingents canadiens, néo-zélandais, australiens, sud-africains. Au total, les forces françaises et britanniques sont soutenues par plus de 330 aéronefs et près de 3 000 canons. Avant le déclenchement de l’offensive, la victoire ne fait aucun doute d’autant que les Allemands, déjà engagés à Verdun, sont en infériorité numérique.
{{ scope.legend }}
© {{ scope.credits }}France 24 : Mais l’offensive ne se déroule pas comme prévu et ce 1er juillet est une journée sanglante pour l’armée britannique qui perd 20 000 hommes en quelques heures. En revanche, est-il vrai que les Français ont connu quelques succès ?
Michaël Bourlet : Effectivement, du côté français il y a de meilleurs résultats le 1er juillet. Il y a des pertes aussi, mais qui ne sont pas aussi importantes. Sur le plan tactique, les soldats français opèrent une percée de plusieurs kilomètres et s’emparent même des deuxièmes et troisièmes lignes allemandes. Le commandement français a tiré les enseignements de 1915 et de Verdun. Il maîtrise mieux le combat interarmes (liaisons infanterie, artillerie, aviation) par exemple, possède de meilleurs canons tandis que les soldats sont beaucoup plus expérimentés que leurs camarades britanniques.
Ensuite, pendant le mois d’août, les Français travaillent à la préparation d’une nouvelle offensive, malgré l’échec et le traumatisme de juillet. Le 3 septembre, l’offensive française est relancée. La progression est lente et les combats autour de Combles et de Bouchavesnes sont très durs. À partir du 20 septembre, on entre dans la phase la plus terrible de la bataille pour les Français. La bataille s’enlise alors que les conditions météorologiques exécrables et la résistance allemande use les assaillants. Le 18 novembre, l’offensive cesse dans la Somme. Le haut commandement ne renonce pas et projette d’attaquer une dernière fois, misant sur l’usure de l’armée allemande. Les mauvaises conditions météorologiques et la démission de Joffre mettent un terme au projet.
Cet échec s’explique notamment par le manque de collaboration entre les alliés. Il n’y a pas encore de commandement unique, il faudra attendre 1918. En outre, ce secteur n'a pas facilité la tâche des assaillants : les actions ont été divergentes ; la Somme qui partage le secteur d’attaque, complique les liaisons, etc. En outre, les Alliés ne parviennent pas à tirer le meilleur rendement de l’artillerie. Je serais tenté de dire qu’il y a trop de méthode dans cette offensive ce qui provoque une lenteur des opérations, un caractère processionnel de l’action et un refus de l'improvisation. Plusieurs occasions de percées ne sont pas exploitées. Bien qu’épuisés, les Allemands tiennent en adoptant une série de mesures qui visent à limiter l’usure de leurs forces. L’historien allemand Gerd Krumeich a bien montré qu’ils se sont battus avec le sentiment de défendre leur pays. Comme pour les Français à Verdun, c’est une victoire de la défensive.
France 24 : On parle beaucoup justement de l’enfer de Verdun pour les soldats français, mais qu’ont vécu les poilus dans la Somme ?
Michaël Bourlet : On peut aussi évoquer l’enfer de la Somme car ce sont les mêmes conditions. La météo, épouvantable, a contribué fortement à l’échec des franco-britanniques. Les pluies ont transformé le champ de bataille en un immense bourbier dans lequel plus d’un million de soldats français sont passés du 1er juillet au 20 novembre. Plus de 200 000 soldats français ont été tués, blessés ou ont été portés disparus dans la Somme. Ce sont des pertes importantes bien qu'inférieures aux pertes britanniques (420 000 hommes) et allemandes (650 000 hommes).
France 24 : Alors que les pertes mensuelles ont finalement été plus importantes dans la Somme qu’à Verdun, comment expliquez que cette bataille n'est pas restée dans les mémoires?
Michaël Bourlet : Je dirai que la bataille n’a pas été immédiatement oubliée. Après la guerre, les associations d’anciens combattants ont commémoré la bataille. La nécropole de Rancourt ou les monuments français qui couvrent le champ de bataille français sont là pour le rappeler. La nécropole franco-britannique de Thiepval montre qu’il y a eu également la volonté de commémorer la bataille de la part des deux alliés. Mais la bataille est aussi un échec alors qu’au même moment les Français résistent et repoussent les Allemands à Verdun. Par conséquent Verdun est devenu la bataille emblématique et la Somme est tombée dans l’oubli. Parallèlement, les Britanniques se sont accaparés la commémoration de la bataille étant donné le traumatisme qu’elle représente pour l’armée britannique. Mais cette bataille est aussi un temps fort pour les Sud-Africains, les Australiens, les Néo-Zélandais ou encore les Canadiens.
-À consulter : Michaël Bourlet est l’auteur du blog Sourcesdelagrandeguerre.
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