Le Brexit pèse lourdement sur le vote en Irlande du Nord
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Enniskillen (Royaume-Uni) (AFP) –
Michelle Gildernew, candidate du parti nationaliste nord-irlandais Sinn Fein, s'accorde un moment de répit dans la campagne des législatives du 8 juin en contemplant le patchwork des champs qui bordent la frontière avec la République d'Irlande, près de la petite ville animée d'Enniskillen.
Gildernew a grandi près de cette frontière pendant le conflit qui a déchiré l'Irlande du Nord entre partisans et adversaires de l'union avec la Grande-Bretagne. La frontière était alors constellée de checkpoints militaires séparant des communautés jusque là mélangées.
Elle craint que quitter l'Union européenne ne ramène les contrôles frontaliers et espère ravir le siège de député à son titulaire, pro-Brexit, en faisant valoir la ligne pro-UE du Sinn Fein.
"Depuis le démantèlement des installations militaires, toute une génération a vécu sans savoir ce que c'était qu'une frontière", dit à l'AFP cette brune de 47 ans aux cheveux courts. "La frontière est devenue invisible et personne ne veut la voir revenir", ajoute-t-elle.
Fermanagh & South Tyrone est une circonscription rurale du sud-ouest qui a fait la une en 1981 en élisant député le gréviste de la faim Bobby Sands.
Tom Elliot, du Parti unioniste d'Ulster, a déjoué les pronostics aux élections générales de 2015 en l'emportant sur Gildernew avec moins de 600 voix d'avance. Mais cette dernière affirme que "l'effet Brexit" lui rapporte des voix dans toute la communauté y compris chez les électeurs d'Elliot.
"Ici, les gens comprennent les dangers du Brexit et ils sont en colère de devoir quitter l'UE alors que 56% des Nord-Irlandais ont voté pour y rester. Tom Elliot a voté pour nous sortir de l'UE", rappelle-t-elle.
Le Sinn Fein a réclamé un statut à part pour l'Irlande du Nord dans les négociations du Brexit afin d'assurer que la frontière reste ouverte et a demandé un référendum d'unification avec la république voisine dans les cinq ans.
Les sondages et les experts prédisent que Gildernew va regagner son siège mais Elliot pense que les élections porteront plus sur "des problèmes de base comme la santé et l'éducation" que sur le Brexit.
Cet éleveur de bétail défend son soutien au Brexit qui va selon lui amener "de nouvelles opportunités" à la région. Quant aux 298 millions d'euros annuels de subventions agricoles de l'UE à la province, ils seront remplacés par de l'argent de Londres, assure-t-il.
- 'Pas bonne pour nous' -
Et il pense qu'un retour de la frontière n'est pas inéluctable. "Il faut absolument éviter un retour à une frontière matérielle", dit-il. "Vous verrez une augmentation des postes de contrôle mais ce sera surtout basé sur la surveillance électronique", assure-t-il.
A Enniskillen, tout le monde est conscient des progrès enregistrés depuis les jours sombres d'un conflit qui a fait plus de 3.000 morts, dont 11 civils tués par une bombe de l'IRA dans la ville même en 1987.
Alan Latimer et sa compagne Laura Oestreich, qui tiennent le café végétarien The Happiness Trap, ne voteront pas parce qu'ils habitent de l'autre côté, en République d'Irlande.
Alan espère que le Brexit ne va pas ralentir ses allers venues. Mais le Brexit a déjà un impact sur son café. "Nous importons tous nos produits organiques de l'UE, notamment des Pays-Bas, et la chute de la livre après le référendum (du 23 juin 2016, ndlr) a renchéri nos coûts d'environ 10%, et nous avons dû augmenter nos prix", dit-il.
Il craint aussi "la bureaucratie post-Brexit et les taxes supplémentaires qui vont s'ajouter à nos coûts de base, ce qui inquiète tous les entrepreneurs".
Dans le centre-ville, le boucher Pat O'Doherty, qui exporte des charcuteries traditionnelles vers l'Irlande, redoute des changements de réglementation possibles une fois quittée l'UE. Et il ne croit guère qu'on puisse éviter une vraie frontière.
"Je ne vois pas quel autre type de frontière on peut établir, vue la position du gouvernement britannique qui veut contrôler l'immigration --c'est la réalité et elle n'est pas bonne pour nous", conclut-il sombrement.
© 2017 AFP