L'heure du blues pour les orchestres de Rio, sans le sou

Rio de Janeiro (AFP) –

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Danseur étoile du ballet de Rio de Janeiro (sud-est du Brésil), chauffeur Uber pour survivre: acculé par les retards de salaire, Filipe Moreira n'a pas eu le choix dans la cité carioca au bord de la faillite.

"Nous avons perdu les conditions minimales pour nous en sortir", confie ce danseur de 36 ans au corps souple et musclé, qui enchante le public par sa grâce et sa technique.

Son employeur, le Théâtre municipal, qui héberge dans un élégant bâtiment Art nouveau l'une des plus renommées compagnies de ballet et d'opéra, a au moins deux mois de retard sur les salaires de 5.000 réais, soit 1.400 euros en moyenne. Le bonus de décembre n'a tout simplement pas été versé.

La femme de Filipe, ballerine, est dans le même cas. Alors, pour faire vivre le couple qui a un garçon de cinq ans, il n'a pas eu d'autre choix que de s?inscrire comme chauffeur Uber en mars. Un métier bien loin de son quotidien "consacré à l'art, à la danse", avoue-t-il.

Parmi les 500 autres employés du Théâtre municipal, certains ont dû piocher dans leurs économies, d'autres survivent grâce aux dons du public, un panier mensuel contenant des pâtes, de l'huile et d'autres aliments.

Il a moins d'un an, Rio attirait pourtant les regards du monde entier en accueillant les jeux Olympiques. Mais la récession et l'énorme scandale de corruption secouant le pays ont eu raison des services publics de la ville: police, hôpitaux et écoles manquent cruellement de moyens.

En tant que danseur étoile, Filipe devrait répéter chaque jour, faire de la gym, de la physiothérapie. A la place, il s'est retrouvé au volant de la voiture de sa mère pendant deux mois et six jours par semaine.

Il a finalement touché ce mois-ci une infime portion d'un salaire en retard: 700 réais sur les 7.000 prévus.

"C'est assez pour manger", se console-t-il. "Mais comment fait-on pour payer les factures?"

- "Crise morale" -

La situation est pire encore à l'Orchestre symphonique brésilien (BSO), financé par des fonds publics et privés, qui utilise le même théâtre.

Fondé dans les années 1940, le BSO a réalisé des tournées et des enregistrements avec les plus grandes stars, comme Leonard Bernstein, Zubin Mehta, Mstislav Rostropovitch et José Carreras.

Aujourd'hui il est réduit au silence. Sa saison 2017 a été presque entièrement annulée après huit mois sans verser de salaire et aucun signe d'aide à venir des pouvoirs publics.

Certains musiciens se sont eux aussi résolus à travailler pour Uber. D'autres jouent dans des mariages, voire dans la rue.

Pour la joueuse de viole Deborah Cheyne, vice-présidente du syndicat des musiciens, cette situation est avant tout "le résultat d'une crise morale". Et "un petit aperçu de la crise générale" ayant saisi le Brésil, assure l'artiste de 53 ans, qui critique la mauvaise gestion du BSO.

La situation reste dramatique: "Beaucoup de nos collègues sont littéralement dans la pauvreté, sans assez pour manger", affirme Ciro D'Araujo, 41 ans, qui fait partie des choeurs.