Ahmet Ogras, un Franco-Turc attendu au tournant à la tête du CFCM

Paris (AFP) –

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Quand on l'interroge sur ses liens avec le régime d'Erdogan, il préfère se référer à Emmanuel Macron pour son image de renouveau: le Franco-Turc Ahmet Ogras prend samedi la tête du Conseil français du culte musulman, une première, en se sachant attendu au tournant.

Depuis la création du CFCM en 2003, cette instance représentative de l'islam en France avait jusqu'à présent toujours été pilotée par des Maghrébins, à l'image d'un islam français dont la sociologie est largement liée aux deux principaux pays d'origine de ses fidèles, l'Algérie et le Maroc.

Après la grande mosquée de Paris, liée à l'Algérie, et le Rassemblement des musulmans de France (RMF), proche du Maroc, place désormais au Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), qui fédère 250 des 2.500 mosquées et salles de prière françaises.

La prise de fonction d'Ahmet Ogras, 46 ans, n'est pas une surprise: le CFCM change de mains tous les deux ans depuis 2013 et jusqu'en 2019. Mais son arrivée intervient alors que le pouvoir turc est accusé de dérive autoritaire voire islamiste: d'où "des grincements de dents voire un certain malaise", dans les rangs des autres cultes et jusqu'au sein du CFCM, selon une source proche du dossier.

L'intéressé tente de déminer le terrain avec le sourire et le verbe lisse d'un "modeste qui parle très peu et travaille", dit-il à l'AFP.

Né à Konya (centre de la Turquie), le fief des derviches tourneurs, installé en France depuis l'enfance, Ahmet Ogras a cofondé l'Union des démocrates turcs européens (UDTE), un mouvement de la jeune génération militante, sous le parrainage, reconnaît-il, de Recep Tayyip Erdogan.

Le nouveau président du CFCM se sent-il proche de l'homme fort d'Ankara? "Parmi les valeurs que mes parents m'ont inculquées, on respecte les autorités", se contente-t-il de répondre.

Le frère de son épouse ne travaille-t-il pas au palais présidentiel turc? "Lui c'est lui et moi c'est moi", réplique-t-il en présentant ce beau-frère comme un simple "fonctionnaire".

- 'Bizutage' -

Ingénieur devenu gérant d'une agence de voyages à Paris, Ahmet Ogras n'était pas connu pour ses compétences cultuelles jusqu'à son arrivée à la tête du CCMTF en 2012. "Mon père était président de la mosquée à Vendôme (Loir-et-Cher), j'ai été son assistant, son traducteur, pour moi c'est inné", assure-t-il pourtant.

Il y a cinq ans également, il est devenu le plus jeune membre du bureau du Conseil du culte musulman. "Depuis 2012, je suis vice-président du CFCM... Cela ne posait pas de problème et maintenant si? J'appelle ça du bizutage", s'agace-t-il.

"Il n'y a pas de doute, il est sous le contrôle de la Diyanet", affirme un bon connaisseur du paysage musulman français en désignant la puissante présidence des affaires religieuses turques, qui détache 150 imams auprès de sa succursale de droit français, la Ditib.

"Ahmet Ogras, comme certains de ses prédécesseurs dans des situations similaires, a clairement dit qu'il prenait la tête d'une institution française et qu'il tenait à un exercice le plus collégial possible de cette présidence. Il n'y a pas de raison de lui faire un procès d'intention", nuance une source proche du gouvernement français.

Ahmet Ogras dit avoir inscrit sur sa feuille de route la volonté de mettre fin aux rivalités entre personnes et fédérations minant le CFCM face à la montée d'un islam identitaire voire radical.

"Je pense aux victimes des attentats: je ne peux pas me permettre de ne pas être à la hauteur", confie-t-il, alors que 239 personnes ont été tuées en France dans des attaques jihadistes depuis 2015.

Ahmet Ogras entend aussi "professionnaliser" le CFCM, renouveler ses cadres, le doter d'"un vrai budget" et de personnels permanents pour faire avancer les dossiers portés par son prédécesseur Anouar Kbibech, notamment la charte de l'imam. Il dit vouloir s'inspirer de "l'approche d'Emmanuel Macron", qu'il juge "apaisante" et parcourue par un "souffle de renouveau".

"On a un devoir national, un devoir de patriote qui dépasse nos calculs internes", fait-il valoir.