SYRIE

YouTube met en danger les preuves des atrocités commises en Syrie

Le site Syrian Archive existe depuis 2014.
Le site Syrian Archive existe depuis 2014. Capture d'écran du site Syrian Archive

Une nouvelle politique de modération des contenus violents sur YouTube a entraîné l’effacement de centaines de milliers de vidéos qui sont parfois les seules traces des exactions commises en Syrie, déplore un activiste syrien.

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Depuis juin, la lutte contre les contenus violents et extrémistes en ligne a fait une victime collatérale : le site Syrian Archive, un effort pour cataloguer et consigner les atrocités commises durant la guerre en Syrie depuis fin 2012.

Lorsque YouTube (qui appartient à Google) a renforcé son arsenal pour effacer des vidéos jugées trop violentes, Hadi al-Khatib, un Syrien cofondateur du site Syrian Archive, a constaté que des contenus attestant d’exactions sur le terrain disparaissaient à grande vitesse. “Depuis juillet, entre 150 000 et 200 000 vidéos ont ainsi disparu et 180 chaînes qui les mettaient en ligne ont été coupées”, explique-t-il à France 24.

Des vidéos témoignages

Les vidéos d’atrocités qu’Hadi al-Khatib traite sont souvent crues et il reconnaît qu’elles peuvent heurter les sensibilités. Il n’en faut pas plus pour que les nouvelles armes dont s’est doté YouTube, comme le “machine learning” (traitement automatisé par un algorithme qui “apprend” à mieux identifier les contenus sensibles), ne fassent le ménage. Les humains qui vérifient ensuite le travail de la machine “n’ont pas forcément la formation adéquate pour bien comprendre le contexte syrien et l’importance de ces contenus qui sont des témoignages”, souligne Hadi al-Khatib.

Le couperet plus tranchant de YouTube a peut-être satisfait les nombreux dirigeants qui, comme en Allemagne, au Royaume-Uni et en France, demandent aux géants du Net de faire plus contre la prolifération des contenus extrémistes. Mais pour la Syrian Archive, c’est une catastrophe. “Un grand nombre d’activistes Syriens utilisent YouTube pour archiver ce qu’ils voient sur le terrain et pour alerter l’opinion internationale sur la réalité du conflit et ils ne savent plus quoi faire”, déplore Hadi al-Khatib.

L'activiste a identifié très tôt l’importance de YouTube dans le contexte syrien. C’est ce besoin de sauvegarder les traces des atrocités commises en Syrie qui l’a motivé à lancer la Syrian Archive en 2014. “En 2012, je travaillais en Turquie pour aider les ONG et journalistes à témoigner et relayer ce qui se passait en Syrie et ils avaient tous le même problème : trouver des preuves concrètes”, raconte-t-il.

Sur le terrain, les auteurs des exactions font le ménage. Restent les réseaux sociaux. Hadi al-Khatib s’est mis à traquer les vidéos du conflit postées sur YouTube, et dans une moindre mesure Facebook et Twitter. Il a commencé par les témoignages d’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien avant d’élargir à d’autres exactions. “Au fil des ans, nous avons identifié 1 000 sources fiables, grâce à nos relais sur place et à des ONG”, note-t-il.

YouTube, complice involontaire des violences

Un travail de fourmi qui a permis de confirmer la fiabilité des images dans plus de 4 500 vidéos. Il en reste encore près de 600 000 à étudier. Hadi al-Khatib et son équipe de six personnes assurent avoir déjà identifié plus de 800 cas d’utilisation d’armes illégales (chimiques), plus de 21 incidents impliquant des enfants ou encore 1 635 illustrations de frappes russes contre des cibles civiles.

Sur le site, il est possible d’affiner une recherche en fonction de l’arme utilisée, du lieu de l’incident ou encore du type d’exaction. Hadi al-Khatib espère que son catalogue pourra un jour servir à attester de la réalité des faits devant des tribunaux. En effet, les contenus amateurs sur Internet commencent à se faire une place devant les juridictions internationales. C'est ainsi qu'en août 2017, la Cour pénale internationale s’est appuyée sur une vidéo postée sur YouTube pour émettre un mandat d’arrêt international contre un officier de l’armée libyenne accusé de crime de guerre.

YouTube, en se montrant plus strict à l’égard des contenus violents, se fait complice involontaire des auteurs de ces exactions, lâche Hadi al-Khatib. Les responsables de la plateforme se sont, néanmoins, montrés très compréhensifs lorsqu’il les a alertés sur les conséquences de leur nouvelle politique de censure de contenus. Il a déjà pu les convaincre de remettre en ligne une vingtaine de chaînes très utilisées pour documenter les exactions en Syrie. Il leur a aussi fourni une liste de plusieurs centaines de sources qui sont, d’après lui, fiables. YouTube est en train de les vérifier de son côté. En attendant, des vidéos qui pourraient se révéler vitales pour prouver des atrocités commises par le mouvement terroriste État islamique (EI) sont peut-être effacées par le nouvel algorithme “intelligent” de YouTube.

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