Réouverture des librairies le 11 mai : "Ce ne sera pas le premier jour des soldes"

Le 11 mai, date annoncée du début du déconfinement en France, les libraires pourront à nouveau ouvrir les portes de leurs boutiques aux clients. Un soulagement pour ces professionnels aux trésoreries fragiles.  

Albert Zenouda a d'ores et déjà revêtu son masque et se tient prêt à accueillir les clients dans sa librairie, "L'instant lire", en région parisienne, la semaine prochaine.
Albert Zenouda a d'ores et déjà revêtu son masque et se tient prêt à accueillir les clients dans sa librairie, "L'instant lire", en région parisienne, la semaine prochaine. © Aude Mazoué, France 24
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Les rideaux de fer recouvrent toujours les vitrines de la librairie L'instant Lire, à Champigny-sur-Marne, en région parisienne. Mais à y regarder de plus près, on y perçoit de la lumière. À;l'intérieur, deux employés et le gérant de la boutique s'affairent. Tous attendent, impatients, presque fébriles, la date du 11 mai, jour annoncé du déconfinement en France, pour enfin relever les grilles métalliques. "Ce sera un grand jour : celui de la réouverture et aussi celui de mon anniversaire", lance jovial, Albert Zénouda, le souriant gérant qui fêtera ses 66 ans lundi.     

La bonne humeur n'a pas toujours été là. "Lorsque le confinement a été prononcé, j'ai été comme saisi, tétanisé, se souvient le libraire. On a pris cette annonce de plein fouet." L'activité de la librairie s'est brutalement arrêtée. Les deux employés et l'apprenti qui travaillaient à plein temps ont été mis au chômage partiel. 

La librairie L'instant lire, située dans le centre-ville de Champigny-sur-Marne, en région parisienne.
La librairie L'instant lire, située dans le centre-ville de Champigny-sur-Marne, en région parisienne. © Aude Mazoué, France 24

Une "librairie est fragile, au moindre courant d'air, elle prend froid" 

La fermeture tombe au plus mal : la librairie venait d'ouvrir ses portes il y a moins d'un an, après avoir été laissée plusieurs mois à l'abandon. Le commerce demeure sous le coup d'emprunts, de factures de fournisseurs, des frais nécessaires à son lancement. Difficile de faire les comptes et de chiffrer les pertes financières liées au confinement. "Je pense avoir perdu environ 60 000 euros, estime le gérant. La trésorerie d'une librairie est fragile, au moindre courant d'air, elle prend froid."

L'instant Lire de Champigny-sur-Marne n'est pas un cas à part. Pour le seul mois de mars, les ventes de livres en France ont plongé de 33 %, révèle le syndicat de la librairie française (SLF), alors qu'elles avaient enregistré une hausse de 6 % en février. Et la chute risque d'être plus vertigineuse en avril, sachant que les librairies n'ont fermé que deux semaines en mars.

Dès lors, est-il envisageable de rattraper ces pertes ? "Impossible, soupire le commerçant. On est déjà au maximum de notre activité. Nous sommes ouverts six jours sur sept. On est tous des passionnés : dès le matin, on donne tout ce que l'on a. On n'a pas de marge de manœuvre pour faire davantage".  

L'instant lire versus Amazon 

Passé le choc du confinement, Albert Zenouda se remet au travail. "Pas question que les géants d'Internet profitent de la situation. Il ne fallait pas qu'un manque se crée et que les clients se tournent vers de nouvelles habitudes". Alors la petite équipe se lance dans la vente en drive : les clients passent commande par mail et récupèrent leur commande en boutique deux après-midi par semaine. À condition que la librairie dispose des livres en stock car la chaîne d'approvisionnement a été coupée. Pour s'en sortir, le commerce propose même de livrer les ouvrages à domicile. Amazon n'a qu'à bien se tenir.  

Si quelques livres ont été vendus, Albert Zenouda est bien conscient que cette nouvelle activité ne représente pas grand-chose, sur le plan financier. "C'est un pansement, une simple rustine à l'échelle des pertes subies". Mais le maintien de l'activité est important. Une librairie de quartier a aussi un rôle social à jouer. "Il était primordial pour nous de maintenir ce lien social."  

D'ailleurs, certains clients ont passé commande pour voir du monde, rompre la monotonie. D'autres ont tenu à soutenir l'activité du commerce qu'ils savent fragile. "Certains clients, qui n'avaient pas spécialement besoin de livres, sont venus commander quelques bouquins pour nous encourager et soutenir notre commerce. Quelle générosité ! Le livre est alors devenu une obole, c'est fabuleux."

La fermeture forcée est aussi l'occasion pour le libraire de s'atteler aux choses qu'il ne cessait de repousser au lendemain. Un inventaire est alors entrepris, des travaux de rafraichissement aussi. C'est également le bon moment pour lancer les opérations de communication, inviter des auteurs à des séances de dédicaces et de lectures pour les mois à venir. Peu à peu, la vie reprend dans la boutique. 

Du gel hydroalcoolique pour désinfecter les mains des clients à l'entrée de la boutique.
Du gel hydroalcoolique pour désinfecter les mains des clients à l'entrée de la boutique. © Aude Mazoué, France 24

Le livre, un "objet charnel" 

Dans quelques jours, la réouverture. Bien sûr, des mesures sanitaires vont être mises en place. Quelques consignes à l'entrée, le rappel des gestes barrière, du gel hydroalcoolique. "Nous avons la chance d'avoir une configuration qui se prête plutôt bien à la distanciation sociale, souligne le commerçant. Les allées sont assez larges, on peut même organiser une sorte de parcours pour déambuler." En revanche, le libraire refuse d'interdire aux clients de pouvoir toucher les livres. "Il y a un rapport sensuel au livre. C'est un objet charnel, les lecteurs aiment les toucher, les caresser. J'en vois même certains qui les hument de plaisir. Je ne peux surtout pas m'opposer à cela. Sinon, je n'ai plus qu'à me reconvertir dans la vente virtuelle." 

De toute façon, Albert Zenouda ne se fait pas trop d'illusion sur cette reprise. "Le 11 mai, les gens ne vont pas se précipiter dans la boutique. Ce ne sera pas le premier jour des soldes. La reprise se fera à dose homéopathique avec les fournisseurs et les clients."

Au milieu des présentoirs bien achalandés et des rayonnages rangés, le sexagénaire ne cache pas son inquiétude. "Nous avons pour l'instant réussi à surmonter le confinement. Mais nous ne survivrons pas à un second. Ni financièrement, ni psychologiquement." 

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