Les Français se déconfinent, la campagne pour les municipales aussi
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Interrompue mi-mars par la crise du Covid-19 et le confinement, la campagne des municipales reprend subrepticement à la faveur du déconfinement. Arguant pallier l'inaction de leurs adversaires, les candidats s'emparent du sujet de la gestion de la crise sanitaire, distribuant des masques comme ils distribueraient des tracts.
Avec le déconfinement des Français, la campagne électorale reprend, elle aussi, de sa vigueur. Interrompues à la suite du premier tour par l’exigence sanitaire de placer la population en confinement, les élections municipales sont désormais suspendues à l’amélioration de la situation de la France, touchée depuis début mars par la pandémie de Covid-19.
Dans son allocution du 7 mai, le Premier ministre Édouard Philippe a indiqué qu’une décision serait prise "au plus tard le 23 mai" concernant l’organisation du second tour du scrutin. Mais les candidats n’ont pas attendu pour se remettre en selle. Depuis lundi, les joutes politiques autour de la gestion de la pandémie de coronavirus s’intensifient. Principal point d’affrontement : la question de la distribution des masques.
"Les affaires locales, les affrontements politiques locaux restent très présents même si l’idée d’une campagne municipale s’est éloignée des préoccupations immédiates", analyse Pierre Sadran, professeur émérite de sciences politiques ayant enseigné à Sciences Po Bordeaux. "Les gens avaient d’autres priorités pendant deux mois et vont continuer à avoir d’autres priorités parce qu’il est singulièrement plus important de se mettre à l’abri du virus que de savoir qui sera le prochain maire", explique-t-il à France 24. "Mais ce sont des questions très sensibles et, localement, l’affrontement n’a pas disparu totalement des consciences."
"Pallier l'inaction du maire sortant"
"Parce que la réussite du déconfinement passe par la distribution gratuite de masques, nous nous organisons pour pallier l’inaction du maire sortant. Sa décision de ne pas distribuer de masques à toute la population est une faute politique grave."
À Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), le ton est donné. Karim Bouamrane, candidat de la liste Réinventons Saint-Ouen (PS/EELV) a tweeté, mardi 12 mai, une vidéo datant de la veille, dans laquelle son équipe s’adonne à une distribution de masques de protection sur l'une des grandes artères de la ville.
"On a pu se procurer quelques masques grâce à des donateurs, donc on s’est battus, on les a distribués parce que c’est scandaleux qu’aujourd’hui, jour de déconfinement, il n’y ait aucune distribution de masques organisée par la municipalité", accuse-t-il, pointant du doigt le maire de la ville, William Delannoy (divers droite), arrivé devant lui au premier tour de l’élection (avec 25,65 % des voix contre 24,35 % pour Karim Bouamrane).
"On leur a tendu la main, on lui a fait des milliards de propositions pour essayer de travailler ensemble : malheureusement, rien n’a été fait. Voilà où on en est aujourd’hui à Saint-Ouen."
Parce que la réussite du déconfinement passe par la distribution gratuite de masques: nous nous organisons pour pallier l’inaction du maire sortant. Sa décision de ne pas distribuer de masques à toute la population est une faute politique grave #saintouen #covid #MasquesGratuits pic.twitter.com/aVo5gYfyWl
— Karim Bouamrane (@karim_bouamrane) May 12, 2020
La question de la distribution des masques lors du déconfinement n'était-elle finalement pas une nouvelle occasion pour les candidats de raviver les débats liés à la crise du coronavirus pour poursuivre, en catimini, leur campagne électorale ? "C'est évident, à partir du moment où la campagne risque de reprendre", affirme Pierre Sadran, spécialiste de la démocratie locale, de l’administration et des politiques publiques. "Pour l'instant, nous n'avons pas de décision précise sur la date exacte de la tenue du second tour, mais il est bien évident que ce qu'aura fait le maire sortant – distribution de masques gratuits, ou pas – deviendra l'objet de polémiques."
Tactique politicienne mais enjeux réels
À quelques centaines de mètres de Saint-Ouen, passé le périphérique, dans la bataille des candidats à la mairie de Paris, la question des masques s’impose également comme un sujet de choix. Dans la capitale, la polémique a enflé dès la veille du déconfinement, portée par plusieurs maires d’arrondissement, dont le maire sortant du XVIIe, Geoffroy Boulard (LR), dénonçant l’arrivée de masques "sous forme de rouleaux, comme le Sopalin". Une comparaison reprise d’emblée par Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement et candidate Les Républicains à la mairie de Paris.
"Des rouleaux de Sopalin… Vous imaginez ce que ça peut donner en termes de protection du virus ?", a-t-elle dénoncé, dimanche sur CNews. "Quand les maires d’arrondissement les ont contestés, madame Hidalgo a répondu ‘ce n’est pas grave, jetez-les, on va en recommander d’autres’ : elle fait des dépenses sur je ne sais quels fonds, mais ce n’est pas grave, les Parisiens vont payer deux fois des masques dont ils ne verront pas la couleur", ironise-t-elle.
En vue du déconfinement, la maire de Paris, Anne Hidalgo, avait en effet annoncé, début avril, que deux millions de masques seraient distribués aux habitants. Si depuis la polémique des masques "Sopalin", la ville a mis en ligne un formulaire pour obtenir un masque en tissu gratuit, leur distribution est aussi la cible de critiques de la part des élus de l'opposition municipale. "On ne va pas attendre que le deuxième envoi arrive, on va s’organiser avec d’autre mairies, avec nos moyens et des bénévoles", a ainsi déclaré Geoffroy Boulard, qualifiant cet épisode de "raté incompréhensible".
.@RemiFeraud depuis le 30 avril, les masques réutilisables promis par la Maire de #Paris ne sont toujours pas disponibles. Votre communication à tout prix est contre-productive.
— Geoffroy Boulard (@geoffroyboulard) May 11, 2020
Dans le 17e, nous distribuons des masques chirurgicaux grâce à la région @iledefrance et divers dons. https://t.co/x7wcOAqd58
"On n’est pas uniquement dans la communication parce qu’il y a une question de fond qui se pose", analyse Pierre Sadran, évoquant la défaillance de l'État concernant les masques de protection, et la mobilisation, plus ou moins bien menée, des collectivités locales pour pallier cette carence. "Que les hommes politiques locaux disent que leur municipalité aurait dû réussir à fournir des masques gratuitement à la population, c'est une utilisation tactique électorale d’une question justifiée, l'utilisation politique politicienne d’un enjeu réel."
"Pas d'union nationale" en France dans la lutte contre le Covid-19
Par ailleurs, poursuit le politologue, les oppositions dans le débat sur la gestion de la crise sanitaire ressurgissent très vite, "d’autant plus que ce qui caractérise le cas de la France, c’est qu’il n’y a pas eu d’union nationale dans la lutte contre le Covid-19".
En effet, abonde-t-il, "les fragmentations françaises, les ressentiments, les rancœurs qui se sont accumulés depuis ce quinquennat Macron, avec les Gilets jaunes, la réforme des retraites et les polémiques sur la gestion de la crise sanitaire ont fait qu'à la différence de leurs voisins européens, la défiance des Français à l’égard des gouvernants en place reste très profondément présente dans l’inconscient collectif".
Dimanche, un sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info révélait d'ailleurs qu'à la différence d'une majorité d'Européens, les Français estiment à 66 % que leur gouvernement n'a pas été "à la hauteur" de la situation durant la crise du coronavirus. Un désaveu qui, pourtant, ne touche pas la gestion au niveau local, les maires étant, selon ce même sondage, plébiscités par 75 % des Français.
Pour autant, la défiance généralisée à l'égard des dirigeants peut ressurgir à la moindre occasion, explique Pierre Sadran. "Les oppositions ne manquent donc pas de se manifester de façon virulente à tout propos", ajoute-t-il, prenant l'exemple de sujets tels que la récupération politique d'incidents en matière de sécurité publique, de bavures policières ou d'arrivées massives de migrants sur le territoire d'une collectivité. "Tout cela a fait l'objet, par le passé, de multiples exploitations", rappelle-t-il. "Il y a eu, dans chaque élection municipale, des enjeux saillants."
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