Entre crises économique, politique et sociale, quel avenir pour le Liban ?
Une semaine après l’explosion qui a dévasté une partie de Beyrouth et fait au moins 171 morts, le Liban n’a plus de gouvernement. Dans les rues de la capitale, les habitants nettoient les débris et s’insurgent contre l’ensemble de la classe dirigeante jugée corrompue.
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Entre les larmes et les cris de colère, des centaines de Libanais se sont réunis, mardi 11 août, près des ruines du port de Beyrouth. Au-delà de l’hommage aux victimes de l’explosion, qui a ravagé une grande partie de la ville, fait au moins 171 morts et 6 000 blessés, c’est aussi à la classe dirigeante qu’ils s’en sont pris. "Nous ne ferons pas notre deuil, nous ne porterons pas le noir avant d'avoir enterré le pouvoir", a lancé un orateur devant la foule.
L’annonce, lundi, du Premier ministre Hassan Diab de la démission de l’ensemble du gouvernement n’a pas suffi à apaiser la colère des manifestants, qui dénoncent depuis des mois la corruption endémique à tous les échelons de l’État et la grave crise économique, qui a frappé le Liban en 2019. "Mon frère est mort à cause de la négligence de l'État, à cause de la corruption", lâche auprès de l’AFP Ali Nourredine, tenant le portrait d'Ayman, 27 ans, un militaire qui était au port. "Il y aura un changement quand l'ensemble du régime changera."
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Le temps presse
Le Premier ministre Hassan Diab, universitaire de formation a lui-même reconnu avoir eu les mains liées dès son arrivée aux affaires le 21 janvier avec un gouvernement de technocrates, succédant à Saad Hariri, lui aussi poussé à la démission par les manifestations. "J'avais dit auparavant que la corruption était enracinée à tous les échelons de l'État mais j'ai découvert que la corruption était plus forte que l'État. Nous répondons au désir du peuple d’un véritable changement face à la corruption destructrice. Face à cette réalité, nous prenons du recul pour nous tenir aux côtés des gens, afin de mener avec eux cette bataille du changement", a expliqué Hassan Diab.
Il devra continuer à gérer les affaires courantes jusqu’à ce que le président Michel Aoun, resté très silencieux depuis lundi, propose un nouveau chef de gouvernement. Un processus, au vu du système multiconfessionnel caractéristique du Liban et des tractations nécessaires avec le Parlement, qui risque de prendre beaucoup de temps. "Aucun Premier ministre, aucun gouvernement issu de la même classe politique ne pourra mener de réforme, déplore Nadim Houry, directeur du think tank Arab Reform Initiative. Ce n’est pas un problème de personnage, mais de système. La classe politique n’a pas dit son dernier mot, mais ce qui est clair, c’est qu’elle échouera. Et on perdra encore six mois, un an, un temps irremplaçable vu la crise au Liban, et on ne sera pas plus avancé."
Or le temps presse. La population libanaise souffre de l’augmentation drastique du coût de la vie, due à une dépréciation historique de la livre libanaise, une hyperinflation et des restrictions bancaires draconiennes, auxquelles s’est ajoutée l'épidémie de Covid-19. Près de 300 000 personnes, dont 80 000 enfants, sont désormais sans-abri, après la destruction de leur domicile par l’explosion, et le montant des dégâts occasionnés pourrait s’élever à 15 milliards de dollars, selon le gouverneur de Beyrouth. La reconstruction pourrait prendre des années.
Plus de la moitié des hôpitaux de Beyrouth, dont trois des plus importants, sont "hors service", a indiqué mercredi Richard Brennan, directeur régional des urgences de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
"Sinistrés politiques"
Accablés, les manifestants et une partie de l’opposition exigent le départ de l’ensemble de la classe dirigeante, quasi inchangée depuis des décennies, dont les figures proéminentes en place depuis la fin de la guerre civile en 1990. "Dans les faits, le pouvoir réel est dans les mains de six ou sept personnes représentant des leaders communautaires, qui ont prouvé qu’ils ne voulaient pas lâcher les rênes", affirme Sibylle Rizk, de l’ONG Kulluna Irada, militant pour la réforme politique au Liban.
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Le député des Kataëb (les Phalanges libanaises) Nadim Gemayel, qui a renoncé à son siège avec les deux autres membres élus du parti au Parlement, après l’explosion du 4 août, pour dénoncer l’incurie gouvernementale, charge le Hezbollah. Le parti chiite, allié du président Aoun, domine la vie politique libanaise et avait largement contribué à former le gouvernement d’Hassan Diab. "Le Hezbollah est en grande partie responsable du déséquilibre total qui agite le Liban. C’est lui qui prend les grandes décisions de l’État. (…) En contrepartie d’avoir la souveraineté du pays, il donne sa couverture totale [à la classe politique] pour alimenter la corruption", avance-t-il. Pour lui, l’avenir du Liban passe par un grand renouvellement politique, "ou l’effondrement est certain. Nous ne sommes pas des sinistrés humanitaires, nous sommes des sinistrés politiques. Si on ne change pas notre problème politique, on ne pourra pas se relever à long terme".
Accusé par ailleurs par une partie des médias libanais et des manifestants d’être le propriétaire d’un entrepôt d’arme dans le port de Beyrouth, où étaient stockées selon les autorités 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, le Hezbollah a "nié catégoriquement" et appelé à "l’unité et la solidarité" des Libanais.
Inertie des pouvoirs publics
Ces derniers, habitués depuis longtemps à ne plus compter que sur eux-mêmes, déblayent depuis une semaine les décombres, aidant les plus démunis et ceux dans le besoin face à l'inertie des pouvoirs publics. Des ONG locales et internationales se sont aussi mobilisées pour apporter aides médicales et nourriture. Selon la députée indépendante Paula Yacoubian, elle aussi démissionnaire, le gouvernement ne s’occupait pas de ses citoyens avant sa démission, laissant la responsabilité à la société civile et aux dons internationaux. "Les conséquences du désastre ont montré qui peut vraiment servir et diriger cette nation. C’est parmi eux que nous devrions choisir", affirme-t-elle au New York Times.
These wonderful ladies just turned up at our door asking to help us clean up the wreckage of our apartment. They've come from Saida in south #Lebanon to help, going house to house like so many others volunteers working together across #Beirut in the absence of any govt support. pic.twitter.com/oCa3QjU43X
— Leila Molana-Allen (@Leila_MA) August 9, 2020
Pour Sibylle Rizk, seule la pression populaire, qui a déjà mis à bas deux gouvernements – celui de Saad Hariri en novembre 2019 et celui d’Hassan Diab – pourra faire bouger les lignes et former une alternative crédible. "Cette colère, pour se transformer en projet politique, doit se catalyser autour d’une offre nouvelle. Depuis trop longtemps, le pays est soumis à des influences étrangères, les Libanais sont divisés selon des lignes de fracture communautaires, on les a incités à avoir peur les uns des autres. Cette fois-ci, une alternance réelle doit se créer sur la base de liens entre les Libanais."
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