Visite sous tension

Emmanuel Macron en Chine : "quelques opportunités" et "beaucoup de risques"

Emmanuel Macron se rend en Chine mercredi pour réengager un "espace de dialogue" avec Pékin. Le président français compte profiter de cette visite d’État de trois jours pour inciter Xi Jinping à prendre ses distances avec la Russie dans la guerre qui l’oppose à l’Ukraine. Un déplacement annoncé par les observateurs comme risqué pour le chef d'État français.

Le président français, Emmanuel Macron, accueille la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à l'Élysée, le 14 octobre 2019 à Paris.
Le président français, Emmanuel Macron, accueille la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à l'Élysée, le 14 octobre 2019 à Paris. © Ludovic Marin, AFP
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Lors de sa dernière visite en Chine en 2018, Emmanuel Macron avait promis d'y retourner tous les ans. Mais le président français n’y est revenu qu'une fois, fin 2019, avant que la pandémie de Covid-19 et les mesures restrictives ne viennent contrarier cette promesse. Pour la première fois depuis trois ans et demi, Emmanuel Macron se rend à nouveau à Pékin, du 5 au 8 avril. Et il n'y va pas seul : le président entraîne dans son sillage un aréopage de chefs d’entreprises prompts à consolider les relations économiques entre les deux pays. Pas moins d'une soixantaine de patrons de sociétés françaises, dont ceux d'Airbus, EDF, Alstom ou Véolia, sont du voyage. Avec des signatures de contrats attendues, a laissé entendre l'exécutif français sans plus de détails.

Depuis la signature, le 6 mai 2019, du plan d’action pour les relations franco-chinoises destiné à rééquilibrer les échanges économiques bilatéraux, "le déficit commercial n’a jamais été aussi important entre les deux pays, les investissements chinois en France sont réduits à la portion congrue et la France peine toujours à diversifier ses partenaires", commente Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po. Emmanuel Macron espère donc encourager un "meilleur accès au marché chinois" et "des conditions équitables de concurrence", a expliqué son entourage.

Un président affaibli ?

Mais ce déplacement revêt surtout un caractère hautement politique et diplomatique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Emmanuel Macron fait aussi route aux côtés de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le président français est avant tout venu chercher à Pékin un "espace" de dialogue avec son homologue chinois Xi Jinping sur la guerre en Ukraine. "La Chine est le seul pays au monde en mesure d'avoir un impact immédiat et radical sur le conflit, dans un sens ou dans l'autre", a estimé l'Élysée.

>> À voir : Emmanuel Macron en Chine : Paris travaillera pour un "retour à la paix " en Ukraine

Si la France espérait il y a quelques semaines encore convaincre le président chinois d’exercer son "influence" sur son homologue russe Vladimir Poutine pour une issue négociée au conflit en Ukraine, la visite de Xi Jinping à Moscou le 20 mars a douché les espoirs de l’Occident. Au cours de leur entrevue, les deux dirigeants visiblement sur la même longueur d’onde ont loué leur relation "spéciale" et porté de nombreuses attaques à l’encontre de l'Occident.

Si Emmanuel Macron a dû revoir ses ambitions à la baisse, il garde l'objectif de convaincre son homologue chinois de ne pas franchir la ligne rouge en fournissant des armes à la Russie. Il dispose, pour ce faire, de quelques cartes à jouerOutre sa persévérance – l’Élysée assure qu'il est l'un des rares chefs d'État qui "peuvent discuter six, sept heures" avec le président chinois Xi Jinping pour plaider la cause de la paix –, le président français compte capitaliser sur le bloc européen. Alors que les relations entre Washington et Pékin se sont considérablement dégradées depuis l'épisode du ballon espion chinois il y a deux mois, l'Europe peut se positionner comme une puissance alternative capable d’établir sa propre stratégie avec la Chine. Avec l’appui d’Ursula von der LeyenEmmanuel Macron entend "faire peser l’Union européenne de tout son poids", assure Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors chargée de la géopolitique du commerce. Mais le chef de l'État français devra jouer les équilibristes. "Il ne faut pas non plus que l'unité européenne se fasse au détriment de la relation transatlantique ou plus largement de la coopération avec nos partenaires", note Antoine Bondaz.

Mettre la Chine face à ses contradictions

La teneur du discours des deux responsables européens pourrait en outre prendre des allures de mise en garde. Il n’est pas exclu que le couple européen rappelle au dirigeant chinois que la bonne entente entre l'Europe et la Chine ne va pas sans certaines conditionà respecter vis-à-vis de Moscou. Autrement dit, "si la Chine livre des armes à la Russie, il y aura côté européen des conséquences, sous la forme de sanctions, explique Antoine Bondaz. Et c’est précisément ce que la Chine cherche à éviter."

La France devrait également se positionner sur la question du nucléaire. La décision de la Russie de déployer des armes nucléaires tactiques en Biélorussie constitue un argument de poids qui peut amener la Chine à se désolidariser de Moscou"La Chine s’est toujours opposée au déploiement d’armes à l’étranger et au partage du nucléaire, qu’elle présente comme une forme de prolifération, poursuit Antoine Bondaz. La France, en tant que puissance nucléaire, a un rôle à jouer. Elle est légitime pour demander à la Chine sa position sur le sujet et la mettre indirectement face à ses contradictions. 'Pourquoi critiquer les États-Unis quand la Russie s’apprête à faire la même chose ?' Poser la question est en soi un acte politique. Mais il faut être réaliste, il est peu probable que Xi Jinping se prononce sur cette question."

Des gestes possibles de Pékin

En revanche, il est possible que le numéro un chinois "envoie un certain nombre de signaux positifs", reprend la chercheuse Elvire Fabry. "D’abord parce que la Chine redoute un trop grand rapprochement entre les Américains et les Européens. Elle pourrait donc montrer qu’elle fait des efforts pour entretenir de bonnes relations avec l’Europe." Ensuite pour des raisons pragmatiques : "Pékin peine actuellement à relancer sa consommation interne et à atteindre ses objectifs d’autosuffisance. Pour atténuer la méfiance qui s’est développée ces dernières années à son endroit, elle pourrait se lancer dans une opération de charme vis-à-vis des investisseurs européens."

Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen pourraient enfin évoquer la question des droits humains et notamment le sort que la Chine réserve aux Ouïghours. L'Élysée a assuré que le cas de "proches des ressortissants français qui sont au Xinjiang" dénonçant une vive répression dans cette région sera abordée.

Autant de sujets épineux. "Toute phrase malencontreuse sera exploitée à coup sûr par la Chine. Les équipes de l’Élysée en sont conscientes. Mais le fait de savoir n’empêche pas les faux pasconclut Antoine BondazC’est une rencontre qui offre quelques opportunités et beaucoup de risques."

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